Le secteur de l’étude se situe à l’est du département de la Marne, dans la Champagne humide, au pied de l’Argonne (figure 1). Il se trouve en rive droite de l’Yèvre dans une large zone de replat. La figure 2 présente la position des coupes par rapport au relevé fourni par les archéologues. Quatre fenêtres ont été ouvertes sur le secteur étudié pour caractériser la zone présentant le substrat holocène non reconnu au moment des sondages de diagnostic. A l’est, la coupe 3 se trouve sur le bord oriental du remplissage holocène. La coupe 5 se trouve au centre du remplissage. La coupe 6 se situe sur le bord nord. Enfin, la coupe 4 montre le développement de ce remplissage vers l’ouest à proximité du chenal actuel de l’Yèvre. Chaque coupe stratigraphique est décrite en proposant un découpage en unités stratigraphiques (ou sédimentaires). Chaque U.S. est numérotée de façon arbitraire.
2.1. Datations
Les datations radiocarbone ont été obtenues sur un ensemble de cinq prélèvements provenant des coupes 3 et 5 (figure 3). Il s’agit, dans le cas de la coupe 3, de datations faites sur la matière organique contenue dans le sédiment. Pour la coupe 5, les datations ont été faites sur des fragments de charbons de bois après tamisage et analyse anthracologique. Les datations ont été effectuées par le Centrum voor Isotopen Onderzoek de Groningen. Les dates calibrées à 2 sigmas ont été obtenues à partir des données atmosphériques de Stuiver et al. (1998) avec le logiciel OxCal v3.8 de Bronk Ramsey (2002). Le prélèvement pris dans l’U.S. 3002, qui se présente comme un placage de limon sur le substrat géologique, a été daté à 15180 ± 100 BP soit de 16821 à 15644 cal. BC (GrA-19513), ce qui le place dans le Pléniglaciaire supérieur. L’U.S. 5002, qui correspond à des limons argileux, a été datée à 9970 ± 80 BP soit de 9979 à 9249 cal. BC (GrA-23331), ce qui le place à la limite entre le Dryas récent et le Préboréal, c’est à dire à la transition Tardiglaciaire-Holocène. L’U.S. 5005 est un niveau de tourbe, daté à 9600 ± 80 BP soit de 9232 à 8652 cal. BC (GrA-23334) ; il correspond au Préboréal. L’U.S. 2002 est un niveau de tourbe qui se trouve directement sous des niveaux de tufs (U.S. 2003). Il a été daté à 9340 ± 50 BP soit de 8739 à 8362 cal. BC (GrA-19536), il correspond également au Préboréal. L’U.S. 5009, qui est le dernier niveau de tourbe reconnu dans la coupe 5, a été datée à 8840 ± 70 BP soit de 8237 à 7654 cal. BC(GrA-23335), ce qui la place à la limite entre le Préboréal et le Boréal. Cet ensemble de dates est cohérent du point de vue stratigraphique. Il indique une lacune chronologique importante entre le niveau qui surmonte le substrat géologique sur le bord du remplissage (U.S. 3002) attribué au Pléniglaciaire supérieur et la première U.S. au centre du remplissage (U.S. 5002) datée au mieux de la fin du Dryas récent. La séquence Holocène est cohérente avec une succession conforme de dates. Les travertins lacustres semblent cependant reposer sur des niveaux de tourbe d’âges différents, plus anciens en bordure est (U.S. 2002) qu’au centre du remplissage (U.S. 5009). Cela nous indique une possible incision avant leur dépôt.
2.2. Géoarchéologie
La figure 3 présente l’ensemble des coupes concernées par l’étude. La construction du schéma stratigraphique séquentiel de la figure 4 s’est faite à partir des coupes stratigraphiques et des corrélations obtenues à partir des descriptions des unités stratigraphiques et des datations. Ce schéma propose une reconstruction de l’histoire sédimentaire du remplissage en discriminant les différentes phases de dépôts ou d’incisions. Les U.S. 3001, 5001 et 6001 sont toutes les trois de structure massive, de couleur peu évoluée (5Y ou 5GY), plutôt argileuse. Elles correspondent à la description qui peut être faite des craies marneuses altérées du Turonien. Elles correspondent donc à la partie supérieure du substrat géologique. Dans la coupe 3 et la coupe 6, le niveau surmontant le substrat géologique présente une limite graduelle ; la différentiation de ces niveaux se fait par une couleur un peu plus sombre et un contenu en matière organique et microcharbons pour le niveau supérieur. Dans le cas de la coupe 5, la limite supérieure du substrat est un peu plus franche et l’U.S. sus-jacente ne montre pas de charbons. Nous pouvons donc proposer une corrélation entre l’U.S. 3002 et l’U.S. 6002 et en exclure l’U.S. 5002. L’U.S. 3002 a fourni une date la plaçant dans le Pléniglaciaire supérieur. Les U.S. 3002 et 6002 montrent au microscope une microstructure massive emballant de façon homogène des microcharbons identifiés comme gymnosperme. Nous proposons de définir cet ensemble comme un horizon relique de sol ancien peu développé. Ces niveaux présentent une limite supérieure très abrupte, indiquant une rupture dans la sédimentation. De plus la datation de l’U.S. 5002 à la transition Tardiglaciaire-Holocène montre un hiatus chronologique important entre son dépôt et l’horizon relique. La tourbe de la coupe 3 (U.S. 3004-2002) et le premier ensemble de tourbes de la coupe 5 (U.S. 5005 et 5006) ont les mêmes caractéristiques et se différencient de tous les autres niveaux par une absence d’effervescence à HCl. Nous proposons de corréler ces deux ensembles de tourbes. Les dates effectuées sur le sommet de l’U.S. 2002 et celui de l’U.S. 5005 sont toutes deux attribuables au Préboréal. Leur différence nous pousse à proposer une corrélation entre le sommet de l’U.S. 2002 et l’U.S. 5006. Cependant le caractère graduel de la limite entre l’U.S. 3003-2001 et l’U.S. 3004-2002, indique une continuité dans la sédimentation, ce qui exclut une lacune sédimentaire. La position en bordure du remplissage de la coupe peut expliquer que ne se discrimine qu’un seul niveau de tourbe dans la coupe 3. Les dépôts alluviaux précédant ces tourbes se présentent comme des accumulations de calcite et de matière organique. Une nouvelle fois la dilatation observée dans la coupe 5 permet de discriminer trois U.S. (U.S. 5002, 5003 et 5004) tandis qu’une seule est observée dans la coupe 3 (U.S. 3003-2001). La base de cet ensemble est datée de la transition Dryas récent-Préboréal. Sur le premier niveau de tourbe dans la coupe 5, s’observe un dépôt moins organique (U.S. 5007) surmonté par un second niveau tourbeux (U.S. 5008 et 5009) dont le sommet est daté de la transition Préboréal-Boréal. Dans la coupe 4 nous observons le sommet d’un niveau de tourbe (U.S. 4008), mais nous n’avons aucun élément pour dire à quel niveau de tourbe de la coupe 5 il correspond. La base des dépôts travertineux a, dans tous les cas, une limite très abrupte. De plus, elle repose sur des tourbes d’âges différents, ce qui nous indique une seconde incision importante. Ces dépôts de travertins sont reconnus dans toutes les coupes. Ils constituent le niveau de base du décapage archéologique dans sa partie ouest. Il est dans l’ensemble très homogène, présentant cependant pour les coupes 4 et 6 des petits horizons repaires plus sombres que l’on ne retrouve pas dans les coupes 3 et 5. Les U.S. 4005 et 6005 présente les mêmes caractéristiques en lames minces, il s’agit d’assemblages d’agrégats provenant de l’U.S. sous-jacente (4006 et 6004) et d’agrégats de calcite, de matière organique et d’oxydes. Le niveau fin et plus sombre reconnu dans la coupe 4 (U.S. 4003) n’a pas été retrouvé dans les autres coupes. L’U.S. 6003, malgré sa couleur sombre, se présente en lame mince plus comme un niveau de travertins contenant de la matière organique en abondance. La structure 66 (U.S. 3005 et 3006) s’appuit à la fois sur l’horizon relique (U.S. 3002), sur les alluvions (U.S. 3003) et sur la tourbe (U.S. 3004). Il recoupe également les niveaux travertineux (U.S. 2003 et 2004). Le fossé gallo-romain (U.S. 3007) reconnu par les archéologues recoupe la structure 66. Son remplissage est essentiellement constitué de matériaux provenant des niveaux de travertins. Enfin, le sol actuel se développe sur le substrat travertineux (U.S. 5013 et 4001).
2.3. Données archéo-naturalistes
Des colonnes palynologiques ont été prélevées dans les différents paliers de la coupe 5. Les préparations chimiques des échantillons, les caractérisations des pollens et l’analyse pollinique ont été effectuées au laboratoire du Centre de Recherches Archéologiques de Soissons par Muriel Boulen. La construction d’un diagramme pollinique a permis l’individualisation de plusieurs épisodes floristiques. On y reconnaît une évolution de la couverture végétale qui peut être mise en parallèle avec un développement observé ailleurs, qui répond à des changements dans les conditions climatiques. Les assemblages polliniques rencontrés permettent de scinder le diagramme en deux grandes zones polliniques (zones 1 et 2). Au sein de ces zones, des subdivisions apparaissent. Ces zones polliniques locales peuvent être corrélées aux différentes chronozones. Pour l’étude de la malacofaune, une série de 11 échantillons a été prélevée dans la coupe 5. L’étude malacologique a été conduite par Olivier Decocq. Pour l’analyse des macrorestes végétaux (anthracologie et carpologie), 5 échantillons ont pu être étudiés. Le tri et les détermination ont été effectué par Isabel Figuieral à l’Institut de Botanique de Montpellier (UMR 5059, Centre de Bio-Archéologie et Ecologie).
La figure 4 présente un récapitulatif des données paléoenvironnementales permettant de définir l’histoire morphosédimentaire et écologique du secteur d’étude. La première phase concerne la formation sur le substrat géologique d’un horizon de sol peu évolué après la déglaciation. Les mollusques retrouvés au sommet de l’U.S. 5001 peuvent indiquer un milieu aquatique et des conditions climatiques défavorables. La présence de microcharbons de bois de gymnospermes dans les lames minces n’indique pas forcément la présence d’un couvert arboré au niveau du bassin versant, mais peuvent s’expliquer par la présence d’arbustes. Une phase d’incision est reconnue avant les dépôts des alluvions. Elle explique l’hiatus chronologique entre les alluvions et l’horizon relique. En comparaison, dans le Nord de la France et le Bassin parisien deux phases d’incision majeure sont reconnues au Bølling et au début du Préboréal (Antoine et al. 2002, Limondin-Lozouet et al. 2002, Pastre et al. 2002). La troisième phase concerne une succession de dépôts alluviaux plus ou moins chargés en matière organique. La palynologie nous indique la présence de bois clairs de pins et de bouleaux dans l’environnement proche ainsi que, localement, le développement d’une prairie humide. Le climat reste encore frais et humide et semble encore défavorable pour le développement des malacofaunes. La phase suivante voit le développement de tourbes. Les pollens et les macrorestes végétaux indiquent une extension de la forêt méso-thermophile et des végétaux aquatiques. Ces phénomènes de turbification indiquent à la fois la poursuite de l’amélioration climatique et la baisse relative des flux hydriques. Ils peuvent être interprétés comme résultant de l’augmentation importante de l’évapotranspiration induite par la reconquête forestière (Pastre et al. 2002). La cinquième phase indique un ralentissement de la turbification avec présence d’une sédimentation détritique. Les malacofaunes montrent la présence d’eau libre avec une végétation du bord des eaux, puis le rapprochement de la berge ou des exondations temporaires. Les macrorestes végétaux montrent la persistance d’un milieu hygrophile. La palynologie montre les premiers taxons d’une chênaie dans un contexte climatique chaud et sec. La phase suivante poursuit le processus de stabilisation du milieu avec l’expansion de la chênaie. Une stabilisation hydrologique entraîne la formation de nouvelles tourbes dans un contexte de zone marécageuse plus ou moins exondée. Suit une phase d’incision importante montrant un changement hydrologique brutal. Pastre et al. (2002) observent dans le Bassin parisien à la transition Boréal-Atlantique une accentuation du détritisme puis le dépôt de limons carbonatés interrompant la sédimentation organique. Ces phénomènes marquent une instabilité fluviatile qui continue pendant une partie de l’Atlantique ancien et semble aboutir à la troncature des dépôts antérieurs. Dans notre cas les processus semblent très similaires, avec les dépôts de travertins de la phase 8. La phase 8 montre un caractère purement aquatique tant des dépôts que des malacofaunes, seuls restes conservés dans ce type de sédiments hyper-carbonatés. De fins lits enrichis en matière organique indiquent peut-être des petites phases d’exondations. La dernière phase concerne le fonctionnement du sol actuel formé sur les travertins. Il est caractérisé par un environnement terrestre, ouvert, assez humide et sans doute soumis à des inondations périodiques. La pression anthropique est marquée.